sommes déjà d’anciennes connoissances. Émile & Sophie se saluent avec un peu d’embarras, & ne se parlent toujours point : que se diroient-ils en notre présence ? L’entretien qu’il leur faut n’a pas besoin de témoins. L’on se promene dans le jardin, ce jardin a pour parterre un potager très-bien entendu, pour parc, un verger couvert de grands & beaux arbres fruitiers de toute espece, coupé en divers sens de jolis ruisseaux, & de platebandes pleines de fleurs. Le beau lieu ! s’écrie Émile, plein de son Homere & toujours dans l’enthousiasme ; je crois voir le jardin d’Alcinoüs. La fille voudroit savoir ce que c’est qu’Alcinoüs, & la mere le demande. Alcinoüs, leur dis-je, étoit un roi de Corcyre, dont le jardin décrit par Homere est critiqué par les gens de goût, comme trop simple & trop peu paré[1]. Cet Alcinoüs avoit une fille aimable, qui, la veille qu’un Étranger reçut l’hospitalité, songea qu’elle auroit bientôt un mari. Sophie, interdite, rougit, baisse les yeux, se mord la langue ; on ne peut imaginer une pareille confusion. Le pere, qui se plaît à l’augmenter, prend la parole, & dit, que la jeune Princesse alloit
- ↑ (13) « En sortant du Palais on trouve un vaste jardin de quatre arpens, enceint & clos tout à l’entour, planté de grands arbres fleuris, produisant des poires, des pommes de grenade & d’autres des plus belles especes, des figuiers au doux fruit, & des oliviers verdoyans. Jamais durant l’année entiere ces beaux arbres ne restent sans fruits : l’hiver & l’été, la douce haleine du vent d’ouest fait à la fois nouer les uns & mûrir les autres. On voit la poire & la pomme vieillir & sécher sur leur arbre, la figue sur le figuier, & la grappe sur la souche. La vigne inépuisable ne cesse d’y porter de nouveaux raisins ; on fait cuire & confire les uns au soleil sur une aire, tandis qu’on