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en vaines recherches ! Ah ! ce n’est pas là qu’est l’épouse de mon cœur. Mon ami, vous le saviez bien, mais mon tems ne vous coûte gueres, et mes maux vous font peu souffrir. Je le regarde fixement, & je lui dis sans m’émouvoir : Émile, croyez-vous ce que vous dites ? À l’instant, il me saute au cou tout confus, & me serre dans ses bras sans répondre. C’est toujours sa réponse quand il a tort.

Nous voici par les champs en vrais chevaliers errans ; non pas comme ceux cherchant les aventures, nous les fuyons, au contraire, en quittant Paris ; mais imitant assez leur allure errante, inégale, tantôt piquant des deux, & tantôt marchant à petits pas. À force de suivre ma pratique, on en aura pris enfin l’esprit ; & je n’imagine aucun Lecteur encore assez prévenu par les usages, pour nous supposer tous deux endormis dans une bonne chaise de poste bien fermée, marchant sans rien voir, sans rien observer, rendant nul pour nous l’intervalle du départ à l’arrivée, &, dans la vîtesse de notre marche, perdant le tems pour le ménager.

Les hommes disent que la vie est courte, & je vois qu’ils s’efforcent de la rendre telle. Ne sachant pas l’employer, ils se plaignent de la rapidité du tems, & je vois qu’il coule trop lentement à leur gré. Toujours pleins de l’objet auquel ils tendent, ils voient à regret l’intervalle qui les en sépare : l’un voudroit être à demain, l’autre au mois prochain, l’autre à dix ans de là ; nul ne veut vivre aujourd’hui ; nul n’est content de l’heure présente, tous la trouvent trop lente à passer. Quand ils se plaignent que le tems coule trop vite, ils mentent ; ils payeroient volontiers le pouvoir de