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de prendre une femme qui n’en ait point, ni par conséquent dans un rang où l’on ne sauroit en avoir. Mais j’aimerois encore cent fois mieux une fille simple & grossièrement élevée, qu’une fille savante & bel esprit, qui viendroit établir dans ma maison un tribunal de littérature dont elle se feroit la présidente. Une femme bel esprit est le fléau de son mari, de ses enfants, de ses amis, de ses valets, de tout le monde. De la sublime élévation de son beau génie, elle dédaigne tous ses devoirs de femme, et commence toujours par se faire homme à la manière de mademoiselle de l’Enclos. Au dehors, elle est toujours ridicule & très justement critiquée, parce qu’on ne peut manquer de l’être aussitôt qu’on sort de son état & qu’on n’est point fait pour celui qu’on veut prendre. Toutes ces femmes à grands talents n’en imposent jamais qu’aux sots. On sait toujours quel est l’artiste ou l’ami qui tient la plume ou le pinceau quand elles travaillent ; on sait quel est le discret homme de lettres qui leur dicte en secret leurs oracles. Toute cette charlatanerie est indigne d’une honnête femme. Quand elle auroit de vrais talents, sa prétention les avilirait. Sa dignité est d’être ignorée ; sa gloire est dans l’estime de son mari : ses plaisirs sont dans le bonheur de sa famille. Lecteurs, je m’en rapporte à vous-mêmes, soyez de bonne foi : lequel vous donne meilleure opinion d’une femme en entrant dans sa chambre, lequel vous la fait aborder avec plus de respect, de la voir occupée des travaux de son sexe, des soins de son ménage, environnée des hardes de ses enfants, ou de la trouver écrivant des vers sur sa toilette, entourée de brochures de toutes les sortes & de