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Je m’attends que beaucoup de lecteurs, se souvenant que je donne à la femme un talent naturel pour gouverner l’homme, m’accuseront ici de contradiction : ils se tromperont pourtant. Il y a bien de la différence entre s’arroger le droit de commander, & gouverner celui qui commande. L’empire de la femme est un empire de douceur, d’adresse & de complaisance ; ses ordres sont des caresses, ses menaces sont des pleurs. Elle doit régner dans la maison comme un ministre dans l’Etat, en se faisant commander ce qu’elle veut faire. En ce sens il est constant que les meilleurs ménages sont ceux où la femme a le plus d’autorité : mais quand elle méconnaît la voix du chef, qu’elle veut usurper ses droits et commander elle-même, il ne résulte jamais de ce désordre que misère, scandale et déshonneur.

Reste le choix entre ses égales & ses inférieures ; & je crois qu’il y a encore quelque restriction à faire pour ces dernières ; car il est difficile de trouver dans la lie du peuple une épouse capable de faire le bonheur d’un honnête homme : non qu’on soit plus vicieux dans les derniers rangs que dans les premiers, mais parce qu’on y a peu d’idée de ce qui est beau & honnête, & que l’injustice des autres états fait voir à celui-ci la justice dans ses vices mêmes.

Naturellement l’homme ne pense guère. Penser est un art qu’il apprend comme tous les autres, & même plus difficilement. Je ne connois pour les deux sexes que deux classes réellement distinguées : l’une des gens qui pensent, l’autre des gens qui ne pensent point ; & cette différence vient