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biens de différentes natures, comme la noblesse & l’argent, parce que chacun des deux ajoute moins de prix à l’autre qu’il n’en reçoit d’altération ; que de plus on ne s’accorde jamais sur l’estimation commune ; qu’enfin la préférence que chacun donne à sa mise prépare la discorde entre deux familles, & souvent entre deux époux.

Il est encore fort différent pour l’ordre du mariage, que l’homme s’allie au-dessus ou au-dessous de lui. Le premier cas est tout à fait contraire à la raison, le second y est plus conforme : comme la famille ne tient à la société que par son chef, c’est l’état de ce chef qui regle celui de la famille entiere. Quand il s’allie dans un rang plus bas, il ne descend point, il éleve son épouse ; au contraire, en prenant une femme au-dessus de lui, il l’abaisse sans s’élever : ainsi, dans le premier cas, il y a du bien sans mal, & dans le second, du mal sans bien. De plus, il est dans l’ordre de la Nature que la femme obéisse à l’homme. Quand donc il la prend dans un rang inférieur, l’ordre naturel & l’ordre civil s’accordent, & tout va bien. C’est le contraire quand, s’alliant au-dessus de lui, l’homme se met dans l’alternative de blesser son droit ou sa reconnoissance, & d’être ingrat ou méprisé. Alors la femme, prétendant à l’autorité, se rend le tyran de son chef ; & le maître devenu l’esclave se trouve la plus ridicule & la plus misérable des créatures. Tels sont ces malheureux favoris que les rois de l’Asie honorent & tourmentent de leur alliance, & qui, dit-on, pour coucher avec leurs femmes, n’osent entrer dans le lit que par le pied.