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pas été le maître de le marier à son choix, c’est-à-dire au mien. Il n’y a que le plaisir de faire un heureux, qui puisse payer ce qu’il en coûte pour mettre un homme en état de le devenir.

Mais ne croyez pas, non plus, que j’aye attendu pour trouver l’épouse d’Émile, que je le misse en devoir de la chercher. Cette feinte recherche n’est qu’un prétexte pour lui faire connoître les femmes, afin qu’il sente le prix de celle qui lui convient. Dès long-tems Sophie est trouvée ; peut-être Émile l’a-t-il déjà vue ; mais il ne la reconnoîtra que quand il en sera tems.

Quoique l’égalité des conditions ne soit pas nécessaire au mariage, quand cette égalité se joint aux autres convenances, elle leur donne un nouveau prix ; elle n’entre en balance avec aucune, mais la fait pencher quand tout est égal.

Un homme, à moins qu’il ne soit Monarque, ne peut pas chercher une femme dans tous les états ; car les préjugés qu’il n’aura pas, il les trouvera dans les autres ; & telle fille lui conviendroit peut-être qu’il ne l’obtiendroit pas pour cela. Il y a donc des maximes de prudence qui doivent borner les recherches d’un pere judicieux. Il ne doit point vouloir donner à son Éleve un établissement au-dessus de son rang, car cela ne dépend pas de lui. Quand il le pourroit, il ne devroit pas le vouloir encore ; car qu’importe le rang au jeune homme, du moins au mien ? Et cependant, en montant, il s’expose à mille maux réels qu’il sentira toute sa vie. Je dis même qu’il ne doit pas vouloir compenser des