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étouffez les préjugés, oubliez les institutions humaines, & consultez la nature. N’unissez pas des gens qui ne se conviennent que dans une condition donnée, & qui ne se conviendront plus, cette condition venant à changer, mais des gens qui se conviendront dans quelque situation qu’ils se trouvent, dans quelque pays qu’ils habitent, dans quelque rang qu’ils puissent tomber. Je ne dis pas que les rapports conventionnels soient indifférents dans le mariage, mais je disque l’influence des rapports naturels l’emporte tellement sur la leur, que c’est elle seule qui décide du sort de la vie, & qu’il y a telle convenance de goûts, d’humeurs, de sentiments, de caractères, qui devroit engager un père sage, fût-il prince, fût-il monarque, à donner sans balancer à son fils la fille avec laquelle il auroit toutes ces convenances, fût-elle née dans une famille déshonnête, fût-elle la fille du bourreau. Oui, je soutiens que, tous les malheurs imaginables dussent-ils tomber sur deux époux bien unis, ils jouiront d’un plus vrai bonheur à pleurer ensemble, qu’ils n’en auroient dans toutes les fortunes de la terre, empoisonnées par la désunion des cœurs.

Au lieu donc de destiner dès l’enfance une épouse à mon Emile, j’ai attendu de connoître celle qui lui convient. Ce n’est point moi qui fais cette destination, c’est la nature ; mon affaire est de trouver le choix qu’elle a fait. Mon affaire, je dis la mienne & non celle du père ; car en me confiant son fils, il me cède sa place, il substitue mon droit au sien ; c’est moi qui suis le vrai père d’Emile, c’est moi qui l’ai fait homme. J’aurois refusé de l’élever si je n’avois