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parens sont juges des deux dernieres especes, les enfans seuls le sont de la premiere. Dans les mariages qui se font par l’autorité des peres, on se regle uniquement sur les convenances d’institution & d’opinion ; ce ne sont pas les personnes qu’on marie, ce sont les conditions & les biens ; mais tout cela peut changer, les personnes seules restent toujours, elles se portent par-tout avec elles ; en dépit de la fortune, ce n’est que par les rapports personnels qu’un mariage peut être heureux ou malheureux.

” Votre mere étoit de condition, j’étois riche ; voilà les seules considérations qui porterent nos parents à nous unir. J’ai perdu mes biens, elle a perdu son nom ; oubliée de sa famille, que lui sert aujourd’hui d’être née Demoiselle ? Dans nos désastres, l’union de nos cœurs nous a consolés de tout ; la conformité de nos goûts nous a fait choisir cette retraite ; nous y vivons heureux dans la pauvreté, nous nous tenons lieu de tout l’un à l’autre : Sophie est notre trésor commun ; nous bénissons le Ciel de nous avoir donné celui-là, & de nous avoir ôté tout le reste. Voyez, mon enfant, où nous a conduits la Providence ; les convenances qui nous firent marier sont évanouies ; nous ne sommes heureux que par celles que l’on compta pour rien.

” C’est aux époux à s’assortir. Le penchant mutuel doit être leur premier lien : leurs yeux, leurs cœurs doivent être leurs premiers guides ; car comme leur premier devoir, étant unis, est de s’aimer, & qu’aimer ou n’aimer pas ne dépend point de nous-mêmes, ce devoir en em-