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sole, & livrés à leurs passions orageuses, sans autre guide qu’un pilote inexpérimenté qui méconnoît sa route, & qui ne sait ni d’où il vient, ni où il va. Je me disois ; j’aime la vérité, je la cherche, & ne puis la reconnoître ; qu’on me la montre, & j’y demeure attaché : pourquoi faut-il qu’elle se dérobe à l’empressement d’un cœur fait pour l’adorer ?

Quoique j’aie souvent éprouvé de plus grands maux, je n’ai jamais mené une vie aussi constamment désagréable que dans ce tems de trouble & d’anxiétés, où sans cesse errant de doute en doute, je ne rapportois de mes longues méditations qu’incertitude, obscurité, contradictions sur la cause de mon être & sur la regle de mes devoirs.

Comment peut-on être sceptique par système & de bonne foi ? je ne saurois le comprendre. Ces Philosophes, ou n’existent pas, ou sont les plus malheureux des hommes. Le doute sur les choses qu’il nous importe de connoître est un état trop violent pour l’esprit humain ; il n’y résiste pas long-tems, il se décide malgré lui de maniere ou d’autre, & il aime mieux se tromper que ne rien croire.

Ce qui redoubloit mon embarras, étoit qu’étant né dans une Église qui décide tout, qui ne permet aucun doute, un seul point rejetté me faisoit rejeter tout le reste, & que l’impossibilité d’admettre tant de décisions absurdes, me détachoit aussi de celles qui ne l’étoient pas. En me disant ; croyez tout, on m’empêchoit de rien croire, & je ne savois plus où m’arrêter.

Je consultai les Philosophes, je feuilletai leurs livres, j’examinai leurs diverses opinions ; je les trouvai tous fiers, affir-