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Que les filles soient toujours soumises, mais que les meres ne soient pas toujours inexorables. Pour rendre docile une jeune personne, il ne faut pas la rendre malheureuse ; pour la rendre modeste, il ne faut pas l’abrutir. Au contraire, je ne serois pas fâché qu’on lui laissât mettre un peu d’adresse, non pas à éluder la punition dans sa désobéissance, mais à se faire exempter d’obéir. Il n’est pas question de lui rendre sa dépendance pénible, il suffit de la lui faire sentir. La ruse est un talent naturel au sexe ; & persuadé que tous les penchans naturels sont bons & droits par eux-mêmes, je suis d’avis qu’on cultive celui-là comme les autres : il ne s’agit que d’en prévenir l’abus.

Je m’en rapporte sur la vérité de cette remarque à tout observateur de bonne foi. Je ne veux point qu’on examine là-dessus les femmes mêmes ; nos gênantes institutions peuvent les forcer d’aiguiser leur esprit. Je veux qu’on examine les filles, les petites filles qui ne font pour ainsi dire, que de naître ; qu’on les compare avec les petits garçons de même âge ; & si ceux-ci ne paroissent lourds, étourdis, bêtes auprès d’elles, j’aurai tort incontestablement. Qu’on me permette un seul exemple pris dans toute la naïveté puérile.

Il est très-commun de défendre aux enfans de rien demander à table ; car on ne croit jamais mieux réussir dans leur éducation qu’en la surchargeant de préceptes inutiles, comme si un morceau de ceci ou de cela n’étoit pas bientôt accordé ou refusé[1], sans faire mourir sans cesse un pauvre enfant

  1. (5) Un enfant se rend importun quand il trouve son compte à l’être ; mais il ne demandera jamais deux fois la même chose, si la premiere réponse est toujours irrévocable.