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mon pain dans le métier de prêtre, & on trouva le moyen de me faire étudier. Assurément ni mes parents ni moi ne songions guère à chercher en cela ce qui étoit bon, véritable, utile, mais ce qu’il fallait savoir pour être ordonné. J’appris ce qu’on vouloit que j’apprisse, je dis ce qu’on vouloit que je disse, je m’engageai comme on voulut, & je fus fait prêtre. Mais je ne tardai pas à sentir qu’en m’obligeant de n’être pas homme j’avois promis plus que je ne pouvois tenir.

On nous dit que la conscience est l’ouvrage des préjugés ; cependant, je sais par mon expérience qu’elle s’obstine à suivre l’ordre de la nature contre toutes les lois des hommes. On a beau nous défendre ceci ou cela, le remords nous reproche toujours faiblement ce que nous permet la nature bien ordonnée, à plus forte raison ce qu’elle nous prescrit. Ô bon jeune homme, elle n’a rien dit encore à vos sens : vivez longtemps dans l’état heureux où sa voix est celle de l’innocence. Souvenez-vous qu’on l’offense encore plus quand on la prévient que quand on la combat ; il faut commencer par apprendre à résister pour savoir quand on peut céder sans crime.

Dès ma jeunesse j’ai respecté le mariage comme la première & la plus sainte institution de la nature. M’étant ôté le droit de m’y soumettre, je résolus de ne le point profaner car, malgré mes classes & mes études, ayant toujours mené une vie uniforme & simple, j’avois conservé dans mon esprit toute la clarté des lumières primitives : les maximes du monde ne les avoient point obscurcies, & ma pauvreté m’éloignoit des tentations qui dictent les sophismes du vice.