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aussi-bien fondées ? Les femmes, dites-vous, ne font pas toujours des enfans ! Non ; mais leur destination propre est d’en faire. Quoi ! parce qu’il y a dans l’Univers une centaine de grandes villes où les femmes vivant dans la licence font peu d’enfans, vous prétendez que l’état des femmes est d’en faire peu ! En que deviendroient nos villes, si les campagnes éloignées, ou les femmes vivent plus simplement & plus chastement, ne réparoient la stérilité des Dames ? Dans combien de Provinces les femmes qui n’ont fait que quatre ou cinq enfans passent pour peu fécondes [1] ! Enfin que telle ou telle femme fasse peu d’enfans, qu’importe ? L’état de la femme est-il moins d’être mere, & n’est-ce pas par des loix générales que la nature & les mœurs doivent pourvoir à cet état ?

Quand il y auroit entre les grossesses d’aussi longs intervalles qu’on le suppose, une femme changera-t-elle ainsi brusquement & alternativement de maniere de vivre sans péril & sans risque ? Sera-t-elle aujourd’hui nourrice & demain guerriere ? Changera-t-elle de tempérament & de goûts comme un caméléon de couleurs ? Passera-t-elle tout-à-coup de l’ombre de la clôture, & des soins domestiques, aux injures de l’air, aux travaux, aux fatigues, aux périls

  1. (3) Sans cela l’espece dépériroit nécessairement : pour qu’elle se conserve, il faut, tout compensé, que chaque femme fasse à-peu-près quatre enfans : car des enfans qui naissent, il en meurt près de la moitié avant qu’ils puissent en avoir d’autres, & il en faut deux restans pour représenter le pere & la mere. Voyez si les villes vous fourniront cette population-là.