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qu’à l’homme de les satisfaire, fait dépendre celui-ci, malgré qu’il en ait, du bon plaisir de l’autre, & le contraint de chercher à son tour à lui plaire, pour obtenir qu’elle consente à le laisser être le plus fort. Alors ce qu’il y a de plus doux pour l’homme dans sa victoire, est de douter si c’est la foiblesse qui cede à la force, ou si c’est la volonté qui se rend ; & la ruse ordinaire de la femme est de laisser toujours ce doute entre elle & lui. L’esprit des femmes répond en ceci parfaitement à leur constitution : loin de rougir de leur foiblesse, elles en font gloire ; leurs tendres muscles sont sans résistance ; elles affectent de ne pouvoir soulever les plus légers fardeaux ; elles auroient honte d’être fortes : pourquoi cela ? Ce n’est pas seulement pour paroître délicates, c’est par une précaution plus adroite ; elles se ménagent de loin des excuses & le droit d’être foibles au besoin.

Le progrès des lumieres acquises par nos vices, a beaucoup changé sur ce point les anciennes opinions parmi nous, & l’on ne parle plus gueres de violences, depuis qu’elles sont si peu nécessaires & que les hommes n’y croient plus [1] ; au lieu qu’elles sont très-communes dans les hautes antiquités Grecques & Juives, parce que ces mêmes opinions sont dans la simplicité de la Nature, & que la seule expérience du libertinage a pu les déraciner. Si l’on cite de nos jours moins d’actes de violence, ce n’est surement pas que

  1. (2) Il peut y avoir une telle disproportion d’âge & de force qu’une violence réelle ait lieu, mais traitant ici de l’état relatif des sexes selon l’ordre de la nature, je les prends tous deux dans le rapport commun qui constitue cet état.