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bourg ; tantôt respirant un doux zéphir à demi couché dans les fraîches grottes de Tarente ; tantôt dans l’illumination d’un palais de glace, hors d’haleine, & fatigué des plaisirs du bal.

Je voudrois dans le service de ma table, dans la parure de mon logement, imiter par des ornemens très-simples la variété des saisons, & tirer de chacune toutes ses délices, sans anticiper sur celles qui la suivront. Il y a de la peine & non du goût à troubler ainsi l’ordre de la Nature, à lui arracher des productions involontaires qu’elle donne à regret, dans sa malédiction, & qui, n’ayant ni qualité, ni saveur, ne peuvent ni nourrir l’estomac, ni flatter le palais. Rien n’est plus insipide que les primeurs ; ce n’est qu’à grands frais que tel riche de Paris, avec ses fourneaux et ses serres chaudes vient à bout de n’avoir sur la table toute l’année que de mauvais légumes & de mauvais fruits. Si j’avois des cerises quand il gele, & des melons ambrés au cœur de l’hiver, avec quel plaisir les goûterois-je, quand mon palais n’a besoin d’être humecté ni rafraîchi ? Dans les ardeurs de la canicule le lourd maron me seroit-il fort agréable ? Le préférerois-je sortant de la poële, à la groseille, à la fraise, & aux fruits désaltérans qui me sont offerts sur la terre sans tant de soins ? Couvrir sa cheminée au mois de Janvier de végétations forcées, de fleurs pâles & sans odeur, c’est moins parer l’hiver que déparer le printems ; c’est s’ôter le plaisir d’aller dans les bois chercher la premiere violette, épier le premier bourgeon, & s’écrier dans un saisissement de joie : mortels, vous n’êtes pas abandonnés, la Nature vit encore !