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dont elle fait le meilleur apprêt, & qui passent par le moins de mains pour parvenir sur nos tables. Je préviendrois les falsifications de la fraude, j’irois au-devant du plaisir. Ma sotte & grossiere gourmandise n’enrichiroit point un maître-d’hôtel ; il ne me vendroit point au poids de l’or du poison pour du poisson ; ma table ne seroit point couverte avec appareil de magnifiques ordures, & charognes lointaines ; je prodiguerois ma propre peine pour satisfaire ma sensualité, puisqu’alors cette peine est un plaisir elle-même, & qu’elle ajoute à celui qu’on en attend. Si je voulois goûter un mets du bout du monde, j’irois, comme Apicius, plutôt l’y chercher, que de l’en faire venir : car les mets les plus exquis manquent toujours d’un assaisonnement qu’on n’apporte pas avec eux, & qu’aucun cuisinier ne leur donne, l’air du climat qui les a produits.

Par la même raison, je n’imiterois pas ceux qui ne se trouvant bien qu’où ils ne sont point, mettent toujours les saisons en contradiction avec elles-mêmes, & les climats en contradiction avec les saisons ; qui, cherchant l’été en hiver, & l’hiver en été, vont avoir froid en Italie, & chaud dans le Nord ; sans songer qu’en croyant fuir la rigueur des saisons, ils la trouvent dans les lieux où l’on n’a point pris à s’en garantir. Moi, je resterois en place, ou je prendrois tout le contre-pied : je voudrois tirer d’une saison tout ce qu’elle a d’agréable, & d’un climat tout ce qu’il a de particulier. J’aurois une diversité de plaisirs & d’habitudes, qui ne se ressembleroient point, & qui seroient toujours dans la Nature, j’irois passer l’été à Naples, & l’hiver à Péters-