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lui cachois point trop mes manières de penser, & ne l’en voyois pas plus scandalisé. Quelquefois j’aurois pu me dire : il me passe mon indifférence pour le culte que j’ai embrassé en faveur de celle qu’il me voit aussi pour le culte dans lequel je suis né ; il sait que mon dédain n’est plus une affaire de parti. Mais que devais-je penser quand je l’entendais quelquefois approuver des dogmes contraires à ceux de l’église romaine, et paraître estimer médiocrement toutes ses cérémonies ? Je l’aurois cru protestant déguisé si je l’avois vu moins fidèle à ces mêmes usages dont il sembloit faire assez peu de cas ; mais, sachant qu’il s’acquittoit sans témoin de ses devoirs de prêtre aussi ponctuellement que sous les yeux du public, je ne savois plus que juger de ces contradictions. Au défaut près qui jadis avoit attiré sa disgrâce & dont il n’étoit pas trop bien corrigé, sa vie étoit exemplaire, ses mœurs étaient irréprochables, ses discours honnêtes & judicieux. En vivant avec lui dans la plus grande intimité, l’apprenois à le respecter chaque jour davantage ; & tant de bontés m’ayant tout à fait gagné le cœur, j’attendois avec une curieuse inquiétude le moment d’apprendre sur quel principe il fondoit l’uniformité d’une vie aussi singulière."

" Ce moment ne vint pas sitôt. Avant de s’ouvrir à son disciple, il s’efforça de faite germer les semences de raison & de bonté qu’il jetoit dans son âme. Ce qu’il y avoit en moi de plus difficile à détruire étoit une orgueilleuse misanthropie, une certaine aigreur contre les riches & les heureux du monde, comme s’ils l’eussent été à mes dépens,