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vivre avec les hommes, il doit les connaître. Il connaît l’homme en général ; il lui reste à connoître les individus. Il sait ce il qu’on fait dans le monde : il lui reste à voir comment on y vit. Il est tems de lui montrer l’extérieur de cette grande scène dont il connaît déjà tous les jeux cachés. Il n’y portera plus l’admiration stupide d’un jeune étourdi, mais le discernement d’un esprit droit & juste. Ses passions pourront l’abuser, sans doute ; quand est-ce qu’elles n’abusent pas ceux qui s’y livrent ? mais au moins il ne sera point trompé par celles des autres. S’il les voit, il les verra de l’œil du sage, sans être entraîné par leurs exemples ni séduit par leurs préjugés.

Comme il y a un âge propre à l’étude des sciences, il y en a un pour bien saisir l’usage du monde. Quiconque apprend cet usage trop jeune le suit toute sa vie, sans choix, sans réflexion, &, quoique avec suffisance, sans jamais bien savoir ce qu’il fait. Mais celui qui l’apprend & qui en voit les raisons, le suit avec plus de discernement, & par conséquent avec plus de justesse & de grâce. Donnez moi un enfant de douze ans qui ne sache rien du tout, à quinze ans je dois vous le rendre aussi savant que celui que vous avez instruit dès le premier age avec la différence que le savoir du vôtre ne sera que dans sa mémoire, & que celui du mien sera dans son jugement. De même, introduisez un jeune homme de vingt ans dans le monde ; bien conduit, il sera dans un an plus aimable & plus judicieusement poli que celui qu’on y aura nourri dès son enfance : car le premier, étant capable de sentir les raisons de tous les procédés