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Ce qui me fait le plus compter sur ma méthode, c’est qu’en suivant ses effets le plus exactement qu’il m’est possible, je ne vois pas une situation dans la vie de mon élève qui ne rue laisse de lui quelque image agréable. Au moment même où les fureurs du tempérament l’entraînent, & où, révolté contre la main qui l’arrête, il se débat & commence à m’échapper, dans ses agitations, dans ses emportements, je retrouve encore sa première simplicité ; son cœur, aussi pur que son corps, ne connaît pas plus le déguisement que le vice ; les reproches ni le mépris ne l’ont point rendu lâche ; jamais la vile crainte ne lui a rit à se déguiser. Il a toute l’indiscrétion de l’innocence ; il est naïf sans scrupule ; il ne sait encore à quoi sert de tromper. Il ne se passe pas un mouvement dans son âme que sa bouche ou ses yeux ne le disent ; & souvent les sentiments qu’il éprouve me sont connus plus tôt qu’à lui.

Tant qu’il continue de m’ouvrir ainsi librement son âme, & de me dire avec plaisir ce qu’il sent, je n’ai rien à craindre, le péril n’est pas encore proche ; mais s’il devient plus timide, plus réservé, que j’aperçoive dans ses entretiens le premier embarras de la honte, déjà l’instinct se développe, déjà la notion du mal commence à s’y joindre, il n’y a plus un moment à perdre ; &, si je ne me hâte de l’instruire, il sera bientôt instruit malgré moi.

Plus d’un lecteur, même en adoptant mes idée penser qu’il ne s’agit ici que d’une conversation prise au hasard avec le jeune homme, & que tout est fait. Oh ! que ce n’est pas ainsi que le cœur humain se gouverne ! Ce qu’on dit ne signifie rien si l’on n’a préparé le moment de le dire. Avant de semer, il faut