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enfant. Ne balancez point à l’instruire de ces dangereux mystères que vous lui avez cachés si longtemps avec tant de soin. Puisqu’il faut enfin qu’il les sache, il importe qu’il ne les apprenne ni d’un autre, ni de lui-même, mais de vous seul : puisque le voilà désormois forcé de combattre, il faut, de peur de surprise, qu’il connaisse son ennemi.

Jamais les jeunes gens qu’on trouve savants sur ces matières, sans savoir comment ils le sont devenus, ne le sont devenus impunément. Cette indiscrète instruction, ne pouvant avoir un objet honnête, souille au moins l’imagination de ceux qui la reçoivent, & les dispose aux vices de ceux qui la donnent. Ce n’est pas tout ; des domestiques s’insinuent, ainsi dans l’esprit d’un enfant, gagnent sa confiance, lui font envisager son gouverneur comme un personnage triste & fâcheux ; & l’un des sujets favoris de leurs secrets colloques est de médire de lui. Quand l’élève en est là, le maître peut se retirer, il n’a plus rien de bon à faire.

Mais pourquoi l’enfant se choisit-il des confidents particuliers ? Toujours par la tyrannie de ceux qui le gouvernent. Pourquoi se cacherait-il d’eux, s’il n’étoit forcé de s’en cacher ? Pourquoi s’en plaindrait-il, s’il n’avoit nul sujet de s’en plaindre ? Naturellement ils sont ses premiers confidents ; on voit, à l’empressement avec le que il vient leur dire ce qu’il pense, qu’il croit ne l’avoir pensé qu’à moitié jusqu’à ce qu’il le leur ait dit. Comptez que si l’enfant ne craint de votre part ni sermon ni réprimande, il vous dira toujours tout, & qu’on dosera lui rien confier qu’il vous doive taire, quand on sera bien sûr qu’il ne vous taira rien.