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vertu éclairée avoient affermi son bon naturel. Il accueille le jeune homme, lui cherche un gîte, l’y recommande ; il partage avec lui son nécessaire, à peine suffisant pour deux. Il fait plus, il l’instruit, le console, apprend l’art difficile de supporter patiemment l’adversité. Gens à préjugés, est-ce d’un prêtre, est-ce en Italie que vous eussiez espéré tout cela ?"

" Cet honnête ecclésiastique étoit un pauvre vicaire savoyard, qu’une aventure de jeunesse avoit mis mal avec son évêque, & qui avoit passé les monts pour chercher les ressources qui lui manquoient dans son pays. Il n’étoit ni sans esprit ni sans lettres ; & avec une figure intéressante il avoit trouvé des protecteurs qui le placèrent chez un ministre pour élever son fils. Il préféroit la pauvreté à la dépendance, & il ignoroit comment il faut se conduite chez les grands. Il ne resta pas longtemps chez celui-ci ; en le quittant, il ne perdit point son estime, et comme il vivoit sagement & se faisoit aimer de tout le monde, il se flattoit de rentrer en grâce auprès de son évêque, & d’en obtenir quelque petite cure dans les montagnes pour y passer le reste de ses jours. Tel étoit le dernier terme de son ambition."

" Un penchant naturel l’intéressoit au jeune fugitif, & le lui fit examiner avec soin. Il vit que la mauvaise fortune avoit déjà flétri son cœur, que l’opprobre & le mépris avoient abattu son courage, & que sa fierté, changée en dépit amer, ne lui montroit dans l’injustice & la dureté des hommes que le vice de leur nature & la chimère de