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ÉMILE,

OU

DE L’ÉDUCATION.



SUITE DU LIVRE QUATRIEME.



» Il y a trente ans que dans une ville d’Italie, un jeune homme expatrié se voyoit réduit à la derniere misere. Il étoit né Calviniste ; mais par les suites d’une étourderie, se trouvant fugitif, en pays étranger, sans ressource, il changea de religion pour avoir du pain. Il y avoit dans cette ville un hospice pour les Prosélytes, il y fut admis. En l’instruisant sur la controverse, on lui donna des doutes qu’il n’avoit pas, & on lui apprit le mal qu’il ignoroit : il entendit des dogmes nouveaux, il vit des mœurs encore plus nouvelles ; il les vit, & faillit en être la victime. Il voulut fuir, on l’enferma ; il se plaignit, on le punit de ses plaintes ; à la merci de ses tyrans, il se vit traiter en criminel pour n’avoir pas voulu céder au crime. Que ceux qui savent combien la premiere épreuve de la violence & de l’injustice irrite un jeune cœur sans expérience, se figurent l’état du sien. Des larmes de rage couloient de ses yeux, l’indignation l’étouffoit. Il imploroit le Ciel & les hommes, il se confioit à tout le monde, & n’étoit écouté