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En grandissant, les garçons devroient se corriger de ce défaut dans les colleges, et les filles dans les couvens ; en effet, les uns & les autres parlent en général plus distinctement que ceux qui ont été toujours élevés dans la maison paternelle. Mais ce qui les empêche d’acquérir jamais une prononciation aussi nette que celle des paysans, c’est la nécessité d’apprendre par cœur beaucoup de choses, & de réciter tout haut ce qu’ils ont appris : car, en étudiant, ils s’habituent à barbouiller, à prononcer négligemment & mal : en récitant c’est pis encore ; ils recherchent leurs mots avec effort, ils traînent & allongent leurs syllabes : il n’est pas possible que quand la mémoire vacille la langue ne balbutie aussi. Ainsi se contractent ou se conservent les vices de la prononciation. On verra ci-après que mon Émile n’aura pas ceux-là, ou du moins qu’il ne les aura pas contractés par les mêmes causes.

Je conviens que le peuple & les villageois tombent dans une autre extrémité, qu’ils parlent presque toujours plus haut qu’il ne faut, qu’en prononçant trop exactement ils ont les articulations fortes & rudes, qu’ils ont trop d’accent, qu’ils choisissent mal leurs termes, &c.

Mais premierement, cette extrémité me paroit beaucoup moins vicieuse que l’autre, attendu que la premiere loi du discours étant de se faire entendre, la plus grande faute qu’on puisse faire est de parler sans être entendu. Se piquer de n’avoir point d’accent, c’est se piquer d’ôter aux phrases leur grace & leur énergie. L’accent est l’ame du discours ; il lui donne le sentiment & la vérité. L’accent ment moins