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son propre pouvoir. Mais voyez ce vieillard infirme & cassé ; ramené par le cercle de la vie humaine à la foiblesse de l’enfance ; non-seulement il reste immobile & paisible, il veut encore que tout y reste autour de lui ; le moindre changement le trouble & l’inquiete, il voudroit voir régner un calme universel. Comment la même impuissance jointe aux mêmes passions produiroit-elle des effets si différens dans les deux âges, si la cause primitive n’étoit changée ? Et où peut-on chercher cette diversité de causes, si ce n’est dans l’état physique des deux individus ? Le principe actif commun à tous deux se développe dans l’un & s’éteint dans l’autre ; l’un se forme, & l’autre se détruit, l’un tend à la vie & l’autre à la mort. L’activité défaillante se concentre dans le cœur du vieillard ; dans celui de l’enfant elle est surabondante & s’étend au-dehors ; il se sent, pour ainsi dire, assez de vie pour animer tout ce qui l’environne. Qu’il fasse ou qu’il défasse, il n’importe, il suffit qu’il change l’état des choses, & tout changement est une action. Que s’il semble avoir plus de penchant à détruire, ce n’est point par méchanceté ; c’est que l’action qui forme est toujours lente, & que celle qui détruit, étant plus rapide, convient mieux à sa vivacité.

En même-tems que l’Auteur de la nature donne aux enfans ce principe actif, il prend soin qu’il soit peu nuisible, en leur laissant peu de force pour s’y livrer. Mais sitôt qu’ils peuvent considérer les gens qui les environnent comme des instruments qu’il dépend d’eux de faire agir, ils s’en servent pour suivre leur penchant & suppléer à leur