Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divine ; entre l’idée incompréhensible de l’action de notre ame sur notre corps, & l’idée de l’action de Dieu sur tous les êtres. Les idées de création, d’annihilation, d’ubiquité, d’éternité, de toute-puissance, celles des attributs divins, toutes ces idées qu’il appartient à si peu d’hommes de voir aussi confuses & aussi obscures qu’elles le sont, & qui n’ont rien d’obscur pour le peuple, parce qu’il n’y comprend rien du tout, comment se présenteront-elles dans toute leur force, c’est-à-dire, dans toute leur obscurité, à de jeunes esprits encore occupés aux premieres opérations des sens, & qui ne conçoivent que ce qu’ils touchent ? C’est en vain que les abymes de l’infini sont ouverts tout autour de nous ; un enfant n’en sait point être épouvanté, ses foibles yeux n’en peuvent sonder la profondeur. Tout est infini pour les enfans, ils ne savent mettre de bornes à rien ; non qu’ils fassent la mesure fort longue, mais parce qu’ils ont l’entendement court. J’ai même remarqué qu’ils mettent l’infini moins au-delà qu’au-deçà des dimensions qui leur sont connues. Ils estimeront un espace immense, bien plus par leurs pieds que par leurs yeux ; il ne s’étendra pas pour eux plus loin qu’ils ne pourront aller. Si on leur parle de la puissance de Dieu, ils l’estimeront presque aussi fort que leur pere. En toute chose leur connoissance étant pour eux la mesure des possibles, ils jugent ce qu’on leur dit toujours moindre que ce qu’ils savent. Tels sont les jugemens naturels à l’ignorance & à la foiblesse d’esprit. Ajax eût craint de se mesurer avec Achille, & défie Jupiter au combat, parce qu’il connaît Achille, & ne connoit pas Jupiter. Un paysan Suisse qui se croyoit