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de n’être attachés à rien. Les frères & les sœurs se connaîtront à peine. Quand tous seront rassemblés en cérémonie, ils pourront être fort polis entre eux ; ils se traiteront en étrangers. Sitôt qu’il n’y a plus d’intimité entre les parents, sitôt que la société de la famille ne fait plus la douceur de la vie, il faut bien recourir aux mauvaises mœurs pour y suppléer. Où est l’homme assez stupide pour ne pas voir la chaîne de tout cela ?

Un père, quand il engendre & nourrit des enfants, ne fait en cela que le tiers de sa tâche. Il doit des hommes à son espèce, il doit à la société des hommes sociables ; il doit des citoyens à l’état. Tout homme qui peut payer cette triple dette & ne le fait pas est coupable, & plus coupable peut-être quand il la paye à demi. Celui qui ne peut remplir les devoirs de pere n’a point le droit de le devenir. Il n’y a ni pauvreté, ni travaux, ni respect humain, qui le dispensent de nourrir ses enfans et de les élever lui-même. Lecteurs, vous pouvez m’en croire. Je prédis à quiconque a des entrailles & néglige de si saints devoirs, qu’il versera longtemps sur sa faute des larmes amères, & n’en sera jamais consolé.

Mais que fait cet homme riche, ce pere de famille si affairé, & forcé, selon lui, de laisser ses enfans à l’abandon ? il paye un autre homme pour remplir ces soins qui lui sont à charge. Ame vénale ! crois-tu donner à ton fils un autre pere avec de l’argent ? Ne t’y trompe point ; ce n’est pas même un maître que tu lui donnes, c’est un valet. Il en formera bientôt un second.