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vertu entraînent malgré nous nos suffrages & renversent nos insensés préjugés. Si je recevois un soufflet en remplissant mes fonctions auprès d’Émile, loin de me venger de ce soufflet, j’irois par-tout m’en vanter, & je doute qu’il y eût dans le monde un homme assez vil [1], pour ne pas m’en respecter davantage.

Ce n’est pas que l’Éleve doive supposer dans le maître des lumieres aussi bornées que les siennes, & la même facilité à se laisser séduire. Cette opinion est bonne pour un enfant qui, ne sachant rien voir, rien comparer, met tout le monde à sa portée, & ne donne sa confiance qu’à ceux qui savent s’y mettre en effet. Mais un jeune homme de l’âge d’Émile, & aussi sensé que lui, n’est plus assez sot pour prendre ainsi le change, & il ne seroit pas bon qu’il le prît. La confiance qu’il doit avoir en son gouverneur est d’une autre espece ; elle doit porter sur l’autorité de la raison, sur la supériorité des lumieres, sur les avantages que le jeune homme est en état de connoître, & dont il sent l’utilité pour lui. Une longue expérience l’a convaincu qu’il est aimé de son conducteur ; que ce conducteur est un homme sage, éclairé, qui, voulant son bonheur, sait ce qui peut le lui procurer. Il doit savoir que, pour son propre intérêt, il lui convient d’écouter ses avis. Or si le maître se laissoit tromper comme le disciple, il perdroit le droit d’en exiger de la déférence & de lui donner des leçons. Encore moins l’Éleve doit-il supposer que le maître le laisse à dessein tomber dans des piéges, & tend

  1. (*) Je me trompais, j’en ai découvert un ; c’est M. Formey.