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vit périr à la fleur de l’âge son neveu, son fils adoptif, son gendre ; son petit-fils fut réduit à manger la bourre de son lit pour prolonger de quelques heures sa misérable vie ; sa fille & sa petite-fille, après l’avoir couvert de leur infamie, moururent l’une de misère & de faim dans une île déserte, l’autre en prison par la main d’un archer. Lui-même enfin, dernier reste de sa malheureuse famille, fut réduit par sa propre femme à ne laisser après lui qu’un monstre pour lui succéder. Tel fut le sort de ce maître du monde tant célébré pour sa gloire & son bonheur. Croirai-je qu’un seul de ceux qui les admirent les voulût acquérir au même prix ?

J’ai pris l’ambition pour exemple ; mais le jeu de toutes les passions humaines offre de semblables leçons à qui veut étudier l’histoire pour se connoître & se rendre sage aux dépens des morts. Le tems approche où la vie d’Antoine aura pour le jeune homme une instruction plus prochaine que celle d’Auguste. Emile ne se reconnoîtra guère dans les étranges objets qui frapperont ses regards durant ses nouvelles études ; mais il saura d’avance écarter l’illusion des passions avant qu’elles naissent, & voyant que de tous les tems elles ont aveugle les hommes,

il sera prevenu de la maniere dont elles pourront l’aveugler à son tour, si jamais il s’y livre. Ces leçons, je le sais, lui sont mal appropriées ; peut-être au besoin seront-elles tardives, insuffisantes : mais souvenez-vous que ce ne sont point celles que j’ai voulu tirer de cette étude. En la commençant, je me proposois un autre objet ; & sûrement, si cet objet est mal rempli, ce sera la faute du maître.