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si ce n’est autant de pas pour aller chercher cette malheureuse tuile qui devoit terminer sa vie & ses projets par une mort déshonorante ?

Tous les conquérants n’ont pas été tués ; tous les usurpateurs n’ont pas échoué dans leurs entreprises, plusieurs paraîtront heureux aux esprits prévenus des opinions vulgaires : mais celui qui, sans s’arrêter aux apparences, ne juge du bonheur des hommes que par l’état de leurs cœurs, verra leurs cœurs, verra leurs misères dans leurs succès mêmes ; il verra leurs désirs & leurs soucis rongeans s’étendre & s’accroître avec leur fortune ; il les verra perdre haleine en avançant, sans jamais parvenir à leurs termes, il les verra semblables à ces voyageurs inexpérimentés qui, s’engageant pour la première fois dans les Alpes, pensent les franchir à chaque montagne, &, quand ils sont au sommet, trouvent avec découragement de plus hautes montagnes au-devant d’eux.

Auguste, après avoir soumis ses concitoyens & détruit ses rivaux, régit durant quarante ans le plus grand empire qui ait existé : mais tout cet immense pouvoir l’empêchait-il de frapper les murs de sa tête & de remplir son vaste palais de ses cris, en redemandant à Varus ses légions exterminées ? Quand il auroit vaincu tous ses ennemis, de quoi lui auroient servi ses vains triomphes, tandis que les peines de toute espèce naissoient sans cesse autour de lui, tandis que ses plus chers amis attentoient à sa vie & qu’il étoit réduit à pleurer la honte ou la mort de tous ses proches ? L’infortuné voulut gouverner le monde, & ne sut pas gouverner sa maison ! Qu’arriva-t-il de cette négligence ? Il