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nait, emparez-vous de lui, & ne le quittez plus qu’il ne soit homme : vous ne réussirez jamais sans cela. Comme la véritable nourrice est la mère, le véritable précepteur est le père. Qu’ils s’accordent dans l’ordre de leurs fonctions ainsi que dans leur système ; que des mains de l’une l’enfant passe dans celles de l’autre. Il sera mieux élevé par un pere judicieux & borné que par le plus habile maître du monde ; car le zèle suppléera mieux au talent que le talent au zèle.

Mais les affaires, les fonctions, les devoirs… Ah ! les devoirs, sans doute le dernier est celui du pere [1] ? Ne nous étonnons pas qu’un homme dont la femme a dédaigné de nourrir le fruit de leur union, dédaigne de l’élever. Il n’y a point de tableau plus charmant que celui de la famille ; mais un seul trait manqué défigure tous les autres. Si la mere a trop peu de santé pour être nourrice, le pere aura trop d’affaires pour être précepteur. Les enfants, éloignés, dispersés dans des pensions, dans des couvents, dans des collèges, porteront ailleurs l’amour de la maison paternelle, ou, pour mieux dire, ils y rapporteront l’habitude

  1. Quand on lit dans Plutarque le que Caton le censeur, qui gouverna Rome avec tant de gloire, éleva lui-même son fils dès le berceau, et avec un tel soin, qu’il quittoit tout pour être présent quand la nourrice, c’est-à-dire la mère, le remuoit & le lavoit ; quand on lit dans Suétone qu’Auguste, maître du monde, qu’il avoit conquis & qu’il régissoit lui-même, enseignoit lui-même a ses petits-fils à écrire, à nager, les éléments des sciences, & qu’il les avoit sans cesse autour de lui, on ne peut s’empêcher de rire des petites bonnes gens de ce tems-là, qui s’amusoient de pareilles niaiseries ; trop bornés, sans doute, pour savoir vaquer aux grandes affaires des grands hommes de nos jours.