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pourroit prévoir tous leurs effets combinés dans le corps du peuple.

Il faut encore ici recourir aux anciens par les raisons que j’ai déjà dites, & de plus, parce que tous les détails familiers & bas, mais vrais & caractéristiques, étant bannis du style moderne, les hommes sont aussi parés par nos auteurs dans leurs vies privées que sur la scène du monde. La décence, non moins sévère dans les écrits que dans les actions, ne permet plus de dire en public que ce qu’elle permet d’y faire, &, comme on ne peut montrer les hommes que représentant toujours, on ne les connaît pas plus ans nos livres que sur nos théâtres. On aura beau taire et refaire cent fois la vie des rois, nous n’aurons plus de Suétones [1].

Plutarque excelle par ces mêmes détails dans lesquels nous n’osons plus entrer. Il a une grâce inimitable à peindre les grands hommes dans les petites choses ; & il est si heureux dans le choix de ses traits, que souvent un mot, un sourire, un geste lui suffit pour caractériser son héros. Avec un mot plaisant Annibal rassure son armée effrayée, & la fait marcher en riant à la bataille qui lui livra l’Italie ; Agésilas, à cheval sur un bâton, me fait aimer le vainqueur du grand roi ; César, traversant un pauvre village & causant avec ses amis, décèle, sans y penser, le fourbe qui disoit ne

  1. Un seul de nos historiens (Duclos), qui a imité Tacite dans les grands traits, a osé imiter Suétone & quelquefois transcrire Comines dans les petits ; & cela même, qui ajoute au prix de son livre, l’a fait critiquer parmi nous.