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tiens ainsi dirigés ? & cependant vous voyez que la vérité n’a point été altérée, & qu’on n’a point eu besoin d’abuser son Éleve au lieu de l’instruire.

Vos enfans lisent ; ils prennent dans leurs lectures des connoissances qu’ils n’auroient pas s’ils n’avoient point lu. S’ils étudient, l’imagination s’allume & s’aiguise dans le silence du cabinet. S’ils vivent dans le monde, ils entendent un jargon bizarre, ils voient des exemples dont ils sont frappés ; on leur a si bien persuadé qu’ils étoient hommes, que dans tout ce que font les hommes en leur présence, ils cherchent aussi-tôt comment cela peut leur convenir ; il faut bien que les actions d’autrui leur servent de modele, quand les jugemens d’autrui leur servent de loi. Des domestiques qu’on fait dépendre d’eux, par conséquent intéressés à leur plaire, leur font leur cour aux dépens des bonnes mœurs ; des gouvernantes rieuses leur tiennent à quatre ans des propos, que la plus effrontée n’oseroit leur tenir à quinze. Bientôt elles oublient ce qu’elles ont dit ; mais ils n’oublient pas ce qu’ils ont entendu. Les entretiens polissons préparent les mœurs libertines ; le laquais fripon rend l’enfant débauché, & le secret de l’un sert de garant à celui de l’autre.

L’enfant élevé selon son âge est seul. Il ne connoit d’attachemens que ceux de l’habitude ; il aime sa sœur comme sa montre, & son ami comme son chien. Il ne se sent d’aucun sexe, d’aucune espece ; l’homme & la femme lui sont également étrangers ; il ne rapporte à lui rien de ce qu’ils font ni de ce qu’ils disent ; il ne le voit ni ne l’entend, ou n’y fait nulle attention, leurs discours ne l’intéressent pas plus que leurs exem-