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qui nous nuit, on le fuit ; mais ce qui nous veut nuire, on le hait.

Le premier sentiment d’un enfant est de s’aimer lui-même ; & le second, qui dérive du premier, est d’aimer ceux qui l’approchent ; car dans l’état de foiblesse où il est, il ne connoit personne que par l’assistance & les soins qu’il reçoit. D’abord l’attachement qu’il a pour sa nourrice & sa gouvernante n’est qu’habitude. Il les cherche parce qu’il a besoin d’elles, & qu’il se trouve bien de les avoir ; c’est plutôt connoissance que bienveillance. Il lui faut beaucoup de tems pour comprendre que non-seulement elles lui sont utiles, mais qu’elles veulent l’être ; & c’est alors qu’il commence à les aimer.

Un enfant est donc naturellement enclin à la bienveillance, parce qu’il voit que tout ce qui l’approche est porté à l’assister, & qu’il prend de cette observation l’habitude d’un sentiment favorable à son espece ; mais à mesure qu’il étend ses relations, ses besoins, ses dépendances actives ou passives, le sentiment de ses rapports à autrui s’éveille, & produit celui des devoirs & des préférences. Alors l’enfant devient impérieux, jaloux, trompeur, vindicatif. Si on le plie à l’obéissance ; ne voyant point l’utilité de ce qu’on lui commande, il l’attribue au caprice, à l’intention de le tourmenter, & il se mutine. Si on lui obéit à lui-même ; aussi-tôt que quelque chose lui résiste, il y voit une rebellion, une intention de lui résister, il bat la chaise ou la table pour avoir désobéi. L’amour de soi, qui ne regarde que nous, est content quand nos vrais besoins sont satisfaits ; mais l’amour-propre, qui se