ÉMILE,
OU
DE L’ÉDUCATION.
Que nous passons rapidement sur cette terre ! le premier
quart de la vie est écoulé, avant qu’on en connoisse l’usage ;
le dernier quart s’écoule encore, après qu’on a cessé d’en
jouir. D’abord nous ne savons point vivre : bientôt nous
ne le pouvons plus ; &, dans l’intervalle qui sépare ces deux
extrémités inutiles, les trois quarts du tems qui nous reste
sont consumés par le sommeil, par le travail, par la contrainte,
par les peines toute espece. La vie est courte,
moins par le peu de tems qu’elle dure, que parce que, de
ce peu de tems, nous n’en avons presque point pour la goûter.
L’instant de la mort a beau être éloigné de celui de la
naissance, la vie est toujours trop courte, quand cet espace
est mal rempli.
Nous naissons, pour ainsi dire, en deux fois : l’une pour exister, & l’autre pour vivre ; l’une pour l’espece, l’autre pour le sexe. Ceux qui regardent la femme comme un homme imparfait ont tort, sans doute ; mais l’analogie extérieure est pour eux. Jusqu’à l’âge nubile, les enfans des deux sexes