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travailler en maître, il ne lui manque que de l’habitude, & l’habitude ne se gagne qu’avec le tems. Auquel des métiers, dont le choix nous reste à faire, donnera-t-il donc assez de tems pour s’y rendre diligent ? Ce n’est plus que de cela qu’il s’agit.

Donnez à l’homme un métier qui convienne à son sexe, & au jeune homme un métier qui convienne à son âge. Toute profession sédentaire & casaniere, qui effémine & ramollit le corps, ne lui plait ni ne lui convient. Jamais jeune garçon n’aspira de lui-même à être tailleur ; il faut de l’art pour porter à ce métier de femmes, le sexe pour lequel il n’est pas fait [1]. L’aiguille & l’épée ne sauroient être maniées par les mêmes mains. Si j’étois Souverain, je ne permettrois la couture, & les métiers à l’aiguille qu’aux femmes, & aux boiteux réduits à s’occuper comme elles. En supposant les eunuques nécessaires, je trouve les Orientaux bien fous d’en faire exprès. Que ne se contentent-ils de ceux qu’a fait la nature, de ces foules d’hommes lâches dont elle a mutilé le cœur, ils en auroient de reste pour le besoin. Tout homme foible, délicat, craintif, est condamné par elle à la vie sédentaire ; il est fait pour vivre avec les femmes, ou à leur maniere. Qu’il exerce quelqu’un des métiers qui leur sont propres, à la bonne heure ; & s’il faut absolument de vrais eunuques, qu’on réduise à cet état les hommes qui déshonorent leur sexe en prenant des emplois qui ne lui conviennent pas. Leur choix annonce l’erreur de la Nature :

  1. (9) Il n’y avoit point de tailleurs parmi les anciens : les habits des hommes se faisoient dans la maison par les femmes.