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si vous ne savez parvenir aux Ministres, aux femmes de la Cour, aux Chefs des bureaux, si vous n’avez le secret de leur plaire ; si tous ne trouvent en vous le fripon qui leur convient ? Vous êtes architecte ou peintre : soit ; mais il faut faire connoître votre talent. Pensez-vous aller de but en blanc exposer un ouvrage au sallon ? Oh ! qu’il n’en va pas ainsi ! Il faut être de l’Académie ; il y faut même être protégé pour obtenir au coin d’un mur quelque place obscure. Quittez-moi la regle & le pinceau, prenez un fiacre, & courez de porte en porte : c’est ainsi qu’on acquiert la célébrité. Or vous devez savoir que toutes ces illustres portes ont des Suisses ou des portiers qui n’entendent que par geste, & dont les oreilles sont dans leurs mains. Voulez-vous enseigner ce que vous avez appris, & devenir Maître de géographie, ou de mathématiques, ou de langues, ou de musique, ou de dessin ? Pour cela même il faut trouver des écoliers, par conséquent des prôneurs. Comptez qu’il importe plus d’être charlatan qu’habile, & que si vous ne savez de métier que le vôtre, jamais vous ne serez qu’un ignorant.

Voyez donc combien toutes ces brillantes ressources sont peu solides, & combien d’autres ressources vous sont nécessaires pour tirer parti de celles-là. Et puis, que deviendrez-vous dans ce lâche abbaissement ? Les revers, sans vous instruire, vous avilissent ; jouet plus que jamais de l’opinion publique, comment vous éleverez-vous au-dessus des préjugés, arbitres de votre sort ? Comment mépriserez-vous la bassesse & les vices dont vous avez besoin pour subsister ? Vous ne dépendiez que des richesses, & maintenant vous