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ceux qu’imprime la nature, & la nature ne fait ni Princes, ni Riches, ni grands Seigneurs. Que fera donc, dans la bassesse, ce Satrape que vous n’avez élevé que pour la grandeur ? Que fera, dans la pauvreté, ce publicain qui ne sait vivre que d’or ? Que fera, dépourvu de tout, ce fastueux imbécille qui ne sait point user de lui-même, & ne met son être que dans ce qui est étranger à lui ? Heureux celui qui sait quitter alors l’état qui le quitte, & rester homme en dépit du sort ! Qu’on loue tant qu’on voudra ce Roi vaincu, qui veut s’enterrer en furieux sous les débris de son trône ; moi je le méprise ; je vois qu’il n’existe que par sa couronne, & qu’il n’est rien du tout s’il n’est Roi : mais celui qui la perd & s’en passe, est alors au-dessus d’elle. Du rang de Roi, qu’un lâche, un méchant, un fou peut remplir comme un autre, il monte à l’état d’homme que si peu d’hommes savent remplir. Alors il triomphe de la fortune, il la brave, il ne doit rien qu’à lui seul ; & quand il ne lui reste à montrer que lui, il n’est point nul ; il est quelque chose. Oui, j’aime mieux cent fois le Roi de Syracuse, maître d’école à Corinthe, & le Roi de Macédoine, greffier à Rome, qu’un malheureux Tarquin, ne sachant que devenir s’il ne regne pas ; que l’héritier du possesseur de trois Royaumes, jouet de quiconque ose insulter à sa misere, errant de Cour en Cour, cherchant par-tout des secours, & trouvant par-tout des affronts, faute de savoir faire autre chose qu’un métier qui n’est plus en son pouvoir.

L’homme & le Citoyen, quel qu’il soit, n’a d’autre bien à mettre dans la société que lui-même, tous ses autres biens