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comme si lui seul les avoit tous ; chacun perfectionnera le sien par un continuel exercice ; & il arrivera que tous les dix, parfaitement bien auront encore du surabondant pour d’autres. Voilà le principe apparent de toutes nos institutions. Il n’est pas de mon sujet d’en examiner ici les conséquences ; c’est ce que j’ai fait dans un autre écrit [1].

Sur ce principe, un homme qui voudroit se regarder comme un être isolé, ne tenant du tout à rien & se suffisant à lui-même, ne pourroit être que misérable. Il lui seroit même impossible de subsister ; car, trouvant la terre entière couve, du tien & du mien, & n’ayant rien à lui une son corps, d’où tireroit son nécessaire ? En sortant de l’état de nature, nous forçons nos semblables d’en sortir aussi ; nul n’y peut demeurer malgré les autres ; & ce seroit réellement en sortir, que d’y vouloir rester dans l’impossibilité d’y vivre ; car la première loi de la nature est le soin de se conserver.

Ainsi se forment peu à peu dans l’esprit d’un enfant les idées des relations sociales, même avant qu’il puisse être réellement membre actif de la société. émile voit que, pour avoir des instruments a son usage, il lui en faut encore à l’usage des autres, par lesquels il puisse obtenir en échange les choses, qui lui sont nécessaires & qui sont en leur pouvoir. je l’amène aisément à sentir le besoin de ces échanges, & à se mettre en état d’en profiter.

Monseigneur, il faut que je vive ;


disoit un malheureux auteur satirique au Ministre qui lui

  1. Discours sur l’inégalité.