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un tonneau de vin, mener la voiture tout comme leur père ; on les prendroit pour des hommes, si le son de leur voix ne les trahissoit pas. Dans nos villes mêmes, de jeunes ouvriers, forgerons, taillandiers, maréchaux., sont presque aussi robustes que les maîtres, & ne seroient guères moins adroits, si on les eût exercés à tems. S’il y a de la différence, & je conviens qu’il y en a, elle y est beaucoup moindre, je le répète, que celle des désirs fougueux d’un homme aux désirs bornés d’un enfant. D’ailleurs il n’est pas ici question seulement de forces physiques, mais surtout de la force & capacité de l’esprit qui les supplée ou qui les dirige.

Cet intervalle où l’individu peut plus qu’il ne désire, bien qu’il ne soit pas le tems de sa plus grande force absolue, est, comme je l’ai dit, celui de sa plus grande force relative. Il est le tems le plus précieux de la vie ; tems qui ne vient qu’une seule fois ; tems très court, & d’autant plus court, comme on verra dans la suite, qu’il lui importe plus de le bien employer.

Que fera-t-il donc de cet excédent de facultés & de forces qu’il a de trop à présent, & qui lui manquera dans un autre âge ? Il tâchera de l’employer à des soins qui lui puissent profiter au besoin. Il jettera, pour ainsi dire, dans l’avenir le superflu de son être actuel : l’enfant robuste fera des provisions pour l’homme foible ; mais il n’établira ses magasins ni dans des coffres qu’on peut lui voler, ni dans des granges qui lui sont étranges ; pour s’approprier véritablement son acquis, c’est dans ses bras, dans sa tête, c’est dans lui qu’il le logera. Voici donc le temps des travaux, des