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ÉMILE,

OU

DE L’ÉDUCATION.



Livre Troisieme.


Quoique jusqu’à l’adolescence tout le cours de la vie soit un tems de foiblesse, il est un point, dans la durée de ce premier âge où, le progrès des forces ayant passé celui des besoins, l’animal croissant, encore absolument foible, devient fort par relation. Ses besoins n’étant pas tous développés, ses forces actuelles sont plus que suffisantes pour pourvoir à ceux qu’il a. Comme homme il seroit très-foible ; comme enfant il est très-fort.

D’où vient la foiblesse de l’homme ? De l’inégalité qui se trouve entre sa force et ses desirs. Ce sont nos passions qui nous rendent foibles, parce qu’il faudroit pour les contenter plus de forces que ne nous en donna la Nature. Diminuez donc les desirs, c’est comme si vous augmentiez les forces ; celui qui peut plus qu’il ne desire, en a de reste : il est certainement un être très-fort. Voilà le troisieme état de l’enfance, & celui dont j’ai maintenant à parler. Je continue à l’appeller enfance, faute de terme propre à l’exprimer ; car cet âge approche de l’adolescence, sans être encore celui de la puberté.