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ne voyent qu’un polisson. Un Précepteur songe à son intérêt plus qu’à celui de son Disciple, il s’attache à prouver qu’il ne perd pas son tems & qu’il gagne bien l’argent qu’on lui donne ; il le pourvoit d’un acquis de facile étalage & qu’on puisse montrer quand on veut ; il n’importe que ce qu’il lui apprend soit utile, pourvu qu’il se voye aisément. Il accumule sans choix, sans discernement, cent fatras dans sa mémoire. Quand il s’agit d’examiner l’enfant, on lui fait déployer sa marchandise, il l’étale, on est content, puis il replie son ballot & s’en va. Mon Éleve n’est pas si riche, il n’a point de ballot à déployer, il n’a rien à montrer que lui-même. Or un enfant, non plus qu’un homme, ne se voit pas en un moment. Où sont les Observateurs qui sachent saisir au premier coup-d’œil les traits qui le caractérisent ? Il en est, mais il en est peu, & sur cent mille peres, il ne s’en trouvera pas un de ce nombre.

Les questions trop multipliées ennuyent & rebutent tout le monde, à plus forte raison les enfans. Au bout de quelques minutes leur attention se lasse, ils n’écoutent plus ce qu’un obstiné questionneur leur demande, & ne répondent plus qu’au hazard. Cette maniere de les examiner est vaine & pédantesque ; souvent un mot pris à la volée peint mieux leur sens & leur esprit que ne feroient de longs discours : mais il faut prendre garde que ce mot ne soit ni dicté ni fortuit. Il faut avoir beaucoup de jugement soi-même pour apprécier celui d’un enfant.

J’ai ouï raconter à feu milord Hyde, qu’un de ses amis revenu d’Italie après trois ans d’absence, voulut examiner