est le plus étendu, & que, précédant de bien loin tous les autres, ses opérations sont trop promptes & trop vastes, pour pouvoir être rectifiées par eux. Il y a plus ; les illusions mêmes de la perspective nous sont nécessaires pour parvenir à connoître l’étendue, & à comparer ses parties. Sans les fausses apparences, nous ne verrions rien dans l’éloignement ; sans les gradations de grandeur & de lumiere, nous ne pourrions estimer aucune distance, ou plutôt il n’y en auroit point pour nous. Si de deux arbres égaux, celui qui est à cent pas de nous, nous paroissoit aussi grand & aussi distinct que celui qui est à dix, nous les placerions à côté l’un de l’autre. Si nous appercevions toutes les dimensions des objets sous leur véritable mesure, nous ne verrions aucun espace, & tout nous paroîtroit sur notre œil.
Le sens de la vue n’a, pour juger la grandeur des objets & leur distance, qu’une même mesure ; savoir l’ouverture de l’angle qu’ils font dans notre œil ; & comme cette ouverture est un effet simple d’une cause composée, le jugement qu’il excite en nous laisse chaque cause particuliere indéterminée, ou devient nécessairement fautif. Car comment distinguer à la simple vue si l’angle sous lequel je vois un objet plus petit qu’un autre, est tel parce que ce premier objet est en effet plus petit, ou parce qu’il est plus éloigné ?
Il faut donc suivre ici une méthode contraire à la précédente ; au lieu de simplifier la sensation, la doubler, la vérifier toujours par une autre ; assujettir l’organe visuel à l’organe tactile, & réprimer, pour ainsi dire, l’impétuosité du premier sens par la marche pesante & réglée du second. Faute de