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aux périls de la vie, enfin à la mort ; plus on le familiarisera avec toutes ces idées, plus on le guérira de l’importune sensibilité qui ajoute au mal l’impatience de l’endurer ; plus on l’apprivoisera avec les souffrances qui peuvent l’atteindre, plus on leur ôtera, comme eût dit Montaigne, la pointure de l’étrangeté ; & plus aussi l’on rendra son ame invulnérable & dure ; son corps sera la cuirasse qui rebouchera tous les traits dont il pourroit être atteint au vif. Les approches même de la mort n’étant point la mort, à peine la sentira-t-il comme telle ; il ne mourra pas, pour ainsi dire : il sera vivant ou mort ; rien de plus. C’est de lui que le même Montaigne eût pu dire, comme il a dit d’un Roi de Maroc, que nul homme n’a vécu si avant dans la mort. La constance & la fermeté sont, ainsi que les autres vertus, des apprentissages de l’enfance : mais ce n’est pas en apprenant leurs noms aux enfans qu’on les leur enseigne, c’est en les leur faisant goûter, sans qu’ils sachent ce que c’est.

Mais à propos de mourir, comment nous conduirons-nous avec notre Éleve, relativement au danger de la petite vérole ? La lui ferons-nous inoculer en bas âge, ou si nous attendrons qu’il la prenne naturellement ? Le premier parti, plus conforme à notre pratique, garantit du péril de l’âge où la vie est la plus précieuse, au risque de celui où elle l’est le moins ; si toutefois on peut donner le nom de risque à l’inoculation bien administrée.

Mais le second est plus dans nos principes généraux, de laisser faire en tout la nature, dans les soins qu’elle aime à prendre seule, & qu’elle abandonne aussi-tôt que l’homme veut