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la journée. Nous n’avons pas besoin qu’on nous amene des esclaves de Perse pour faire nos lits ; en labourant la terre nous remuons nos matelas.

Je sais par expérience que quand un enfant est en santé l’on est maître de le faire dormir & veiller presque à volonté. Quand l’enfant est couché, & que de son babil il ennuie sa Bonne, elle lui dit : dormez ; c’est comme si elle lui disoit, portez-vous bien, quand il est malade. Le vrai moyen de le faire dormir est de l’ennuyer lui-même. Parlez tant, qu’il soit forcé de se taire, & bientôt il dormira : les sermons sont toujours bons à quelque chose ; autant vaut le prêcher que le bercer : mais si vous employez le soir ce narcotique, gardez-vous de l’employer le jour.

J’éveillerai quelquefois Émile, moins de peur qu’il ne prenne l’habitude de dormir trop long-tems, que pour l’accoutumer à tout, même à être éveillé brusquement. Au surplus j’aurois bien peu de talent pour mon emploi, si je ne savois pas le forcer à s’éveiller de lui-même, & à se lever, pour ainsi dire, à ma volonté, sans que je lui dise un seul mot.

S’il ne dort pas assez, je lui laisse entrevoir pour le lendemain une matinée ennuyeuse, & lui-même regardera comme autant de gagné tout ce qu’il en pourra laisser au sommeil : s’il dort trop, je lui montre à son réveil un amusement de son goût. Veux-je qu’il s’éveille à point nommé, je lui dis ; demain à six heures on part pour la pêche, on se va promener à tel endroit, voulez-vous en être ? il consent, il me prie de l’éveiller ; je promets, ou je ne promets point,