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jeune plante avant qu’elle meure ; ses fruits feront un jour tes délices. Forme de bonne heure une enceinte autour de l’ame de ton enfant : un autre en peut marquer le circuit ; mais toi seule y dois poser la barrière [1].

On façonne les plantes par la culture, & les hommes par l’éducation. Si l’homme naissoit grand & fort, sa taille & sa force lui seroient inutiles jusqu’à ce qu’il eût appris à s’en servir : elles lui seroient préjudiciables, en empêchant les autres de songer à l’assister [2] ; &, abandonné à lui-même, il mourroit de misere avant d’avoir connu ses besoins. On se plaint de l’état de l’enfance ; on ne voit pas que la race humaine eût péri si l’homme n’eût commencé par être enfant.

Nous naissons foibles, nous avons besoin de force : nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d’assistance : nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance & dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation.

Cette éducation nous vient de la nature, ou des hommes, ou des choses. Le développement interne de nos facultés & de nos organes est l’éducation de la nature : l’usage qu’on nous apprend à faire de ce développement est l’éducation des hommes ; & l’acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent, est l’éducation des choses.

  1. (*) On m’assure que M. Formey a cru que je voulois ici parler de ma mere, & qu’il l’a dit dans quelque ouvrage. C’est se moquer cruellement de M. Formey ou de moi.
  2. (2) Semblable à eux à l’extérieur, & privé de la parole, ainsi que des idées qu’elle exprime, il seroit hors d’état de leur faire entendre le besoin qu’il auroit de leurs secours, & rien en lui ne leur manifesteroit ce besoin.