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d’embarras. Seul et sans protection, il se voit le jouet de tout le monde, & il éprouve avec beaucoup de surprise que son nœud d’épaule & son parement d’or ne le font pas plus respecter.

Cependant un de mes amis, qu’il ne connoissoit point & que j’avis chargé de veiller sur lui, le suivoit pas à pas sans qu’il y prit garde, & l’accosta quand il en fut temps. Ce rôle qui ressembloit à celui de Sbrigani dans Pourceaugnac, demandoit un homme d’esprit, & fut parfaitement rempli. Sans rendre l’enfant timide & craintif en le frappant d’un trop grand effroi, il lui fit si bien sentir l’imprudence de son équipée, qu’au bout d’une demi-heure il me le ramena souple, confus, & n’osant lever les yeux.

Pour achever le désastre de son expédition, précisément au moment qu’il rentrait, son père descendoit pour sortir, & le rencontra sur l’escalier. Il fallut dire d’où il venoit & pour quoi je n’étois pas avec lui [1] ? Le pauvre enfant eut voulu être cent pieds sous terre. Sans s’amuser à lui faire une longue réprimande, le père lui dit plus sèchement que je ne m’y serois attendu : Quand vous voudrez sortir seul, vous en êtes le maître ; mais, comme je ne veux point d’un bandit dans ma maison, quand cela vous arrivera, ayez soin de n’y plus rentrer.

Pour moi, je le reçus sans reproche & sans raillerie, mais avec un peu de gravité ; et de peur qu’il ne soupçonnât

  1. En cas pareil, on peut sans risque exiger d’un enfant la vérité, car il sait bien alors qu’il ne sauroit la déguiser, & que, s’il osoit dire un mensonge, il en seroit à l’instant convaincu.