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sauver sa liberté naturelle des chaînes de son tyran. Au lieu que celui-ci, n’ayant nul intérêt si pressant à pénétrer l’autre, trouve quelquefois mieux son compte à lui laisser sa paresse ou sa vanité.

Prenez une route opposée avec votre Éleve ; qu’il croie toujours être le maître, & que ce soit toujours vous qui le soyez. Il n’y a point d’assujettissement si parfait que celui qui garde l’apparence de la liberté ; on captive ainsi la volonté même. Le pauvre enfant qui ne sait rien, qui ne peut rien, qui ne connoit rien, n’est-il pas à votre merci ? Ne disposez-vous pas, par rapport à lui, de tout ce qui l’environne ? N’êtes-vous pas le maître de l’affecter comme à il vous plait ? Ses travaux, ses jeux, ses plaisirs, ses peines, tout n’est-il pas dans vos mains sans qu’il le sache ? Sans doute, il ne doit faire que ce qu’il veut ; mais il ne doit vouloir que ce que vous voulez qu’il fasse ; il ne doit pas faire un pas que vous ne l’ayez prévu, il ne doit pas ouvrir la bouche que vous ne sachiez ce qu’il va dire.

C’est alors qu’il pourra se livrer aux exercices du corps, que lui demande son âge, sans abrutir son esprit ; c’est alors qu’au lieu d’aiguiser sa ruse à éluder un incommode empire, vous le verrez s’occuper uniquement à tirer de tout ce qui l’environne le parti le plus avantageux pour son bien-être actuel ; c’est alors que vous serez étonné de la subtilité de ses inventions, pour s’approprier tous les objets auxquels il peut atteindre, & pour jouir vraiment des choses sans le secours de l’opinion.

En le laissant ainsi maître de ses volontés, vous ne fo-