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Savant précepteur, voyons lequel de nos élèves ressemble au sauvage, & lequel ressemble au paysan. Soumis en tout à une autorité toujours enseignante, le vôtre ne fait sur parole ; il n’ose manger quand il a faim, ni rire rien quand il est gai, ni pleurer quand il est triste, ni présenter une main pour l’autre, ni remuer le pied que comme on le lui prescrit ; bientôt il n’osera respirer que sur vos règles. À quoi voulez-vous qu’il pense, quand vous pensez à tout pour lui ? Assuré de votre prévoyance, qu’a-t-il besoin d’en avoir ? Voyant que vous conservation, de son bien-être, il se sent délivré de ce soin ; son jugement se repose sur le vôtre ; tout ce que vous ne lui défendez pas, il le fait sans réflexion, sachant bien qu’il le fait sans risque. Qu’a-t-il besoin d’apprendre a prévoir la pluie ? Il sait que vous regardez au ciel pour lui ? Qu’a-t-il besoin de régler sa promenade ? il ne craint pas que vous lui laissiez passer l’heure du dîner. Tant que vous ne lui défendez pas de manger, il mange ; quand vous le lui défendez, il ne mange plus ; il n’écoute plus les avis son estomac, mais les vôtres. Vous avez beau ramollir son corps dans l’inaction, vous n’en rendez pas son entendement plus flexible. Tout au contraire, vous achevez de décréditer la raison dans son esprit, en lui faisant user le peu qu’il en a sur les choses qui lui paraissent le plus inutiles. Ne voyant jamais a quoi elle est bonne, il juge enfin qu’elle n’est bonne à rien. Le pis qui pourra lui arriver de mal raisonner sera d’être repris, & il l’est si souvent qu’il n’y songe guère ; un danger si commun ne l’effraye plus.