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la contraint de s’y appliquer malgré elle, et qu’on le met à des usages auxquels elle ne comprend rien. Un enfant n’est pas fort curieux de perfectionner l’instrument avec lequel on le tourmente ; mais faites que cet instrument serve à ses plaisirs, & bientôt il s’y appliquera malgré vous.

On se fait une grande affaire de chercher les meilleures méthodes d’apprendre à lire ; on invente des bureaux, des cartes ; on fait de la chambre d’un enfant un atelier d’Imprimerie : Locke veut qu’il apprenne à lire avec des dez. Ne voilà-t-il pas une invention bien trouvée ? Quelle pitié ! Un moyen plus sûr que tout ceux-là, & celui qu’on oublie toujours, est le desir d’apprendre. Donnez à l’enfant ce desir, puis laissez là vos bureaux & vos dez, toute méthode lui sera bonne.

L’intérêt présent ; voilà le grand mobile, le seul qui mene surement & loin. Émile reçoit quelquefois de son pere, de sa mere, de ses parens, de ses amis, des billets d’invitation pour un dîné, pour une promenade, pour une partie sur l’eau, pour voir quelque fête publique. Ces billets sont courts, clairs, nets, bien écrits. Il faut trouver quelqu’un qui les lui lise ; ce quelqu’un, ou ne se trouve pas toujours à point nommé, ou rend à l’enfant le peu de complaisance que l’enfant eut pour lui la veille. Ainsi l’occasion, le moment se passe. On lui lit enfin le billet, mais il n’est plus tems. Ah ! si l’on eût sçu lire soi-même ! On en reçoit d’autres : ils sont si courts ! le sujet en est si intéressant ! on voudroit essayer de les déchiffrer, on trouve tantôt de l’aide & tantôt des refus. On s’évertue ; on déchiffre enfin la moitié d’un billet ;