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contes pour les meres. Le même Auteur suffit à tout.

Composons, Monsieur de La Fontaine. Je promets, quant à moi, de vous lire avec choix, de vous aimer, de m’instruire dans vos fables ; car j’espere ne pas me tromper sur leur objet. Mais pour mon Eleve, permettez que je ne lui en laisse pas étudier une seule, jusqu’à ce que vous m’ayez prouvé qu’il est bon pour lui d’apprendre des choses dont il ne comprendra pas le quart ; que dans celles qu’il pourra comprendre il ne prendra jamais le change, & qu’au lieu de se corriger sur la dupe, il ne se formera pas sur le fripon.

En ôtant ainsi tous les devoirs des enfans, j’ôte les instruments de leur plus grande misere, savoir les livres. La lecture est le fléau de l’enfance, & presque la seule occupation qu’on lui sait donner. À peine à douze ans Emile saura-t-il ce que c’est qu’un livre. Mais il faut bien, au moins, dira-t-on, qu’il sache lire. J’en conviens : il faut qu’il sache lire quand la lecture lui est utile ; jusqu’alors elle n’est bonne qu’à l’ennuyer.

Si l’on ne doit rien exiger des enfans par obéissance, il s’ensuit qu’ils ne peuvent rien apprendre dont ils ne sentent l’avantage actuel & présent, soit d’agrément soit d’utilité ; autrement quel motif les porteroit à l’apprendre ? L’art de parler aux absens & de les entendre, l’art de leur communiquer au loin sans médiateur nos sentimens, nos volontés, nos desirs, est un art dont l’utilité peut être rendue sensible à tous les âges. Par quel prodige cet art si utile & si agréable est-il devenu un tourment pour l’enfance ? parce qu’on