Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/167

Cette page n’a pas encore été corrigée

Toutes études si loin de l’homme, & surtout de l’enfant, que c’est une merveille si rien de tout cela lui peut être que une seule fois en sa vie.

On sera surpris que je compte l’étude des Langues au nombre des inutilités de l’éducation : mais on se souviendra que je ne parle ici que des études du premier âge, & quoi que qu’on puisse dire, je ne crois pas que jusqu’à l’âge de douze ou quinze ans nul enfant, les prodiges à part, ait jamais vraiment appris deux Langues.

Je conviens que si l’étude des Langues n’étoit que celle des mots, c’est-à-dire des figures ou des sons qui les expriment, cette étude pourroit convenir aux enfans : mais les Langues en changeant les signes modifient aussi les idées qu’ils représentent. Les têtes se forment sur les langages, les pensées prennent la teinte des idiomes. La raison seule est commune, l’esprit un chaque Langue a sa forme particulière ; différence qui pourroit bien être en partie la cause ou l’effet des caractères nationaux ; &, ce qui paraît confirmer cette conjecture est que, chez toutes les nations du monde, la Langue suit les vicissitudes des mœurs, & se conserve ou s’altère comme elles.

De ces formes diverses l’usage en donne une à l’enfant, & c’est la seule qu’il garde jusqu’à l’âge de raison. Pour en avoir deux, il faudroit qu’il sçut comparer des idées ; & comment les compareroit-il quand il est à peine en état de les concevoir ? Chaque chose peut avoir pour lui mille signes différens ; mais chaque idée ne peut avoir qu’une forme, il ne peut donc apprendre à parler qu’une Langue.